• Article paru dans les TRIBUNES de "l'Humanité", le 28 novembre 2011

    Le Parti communiste et la culture, ce qui a changé dans notre approche

    La politique culturelle doit mobiliser l’ensemble des citoyens

    Mots clés : politique culturelle, pcf, front de gauche,

    Par Alain HAYOT, Délégué National à la culture du PCF, coanimateur du Front de gauche de la Culture.

     Le Front de gauche de la culture affirme que la mise en œuvre d’une politique de gauche, réellement émancipatrice et transformatrice passe par la refondation d’une politique publique de la culture, dont l’ambition démocratique et le dynamisme déterminent la capacité populaire à penser le monde autrement, à reconquérir du pouvoir. Le succès des premières initiatives de ce front thématique, à Paris, Marseille et Avignon lors du dernier festival, montre à quel point il répond à une exigence de l’heure.

    Les communistes participent à ce nouvel en-commun avec leur bagage théorique et historique et doivent chemin faisant clarifier leur réflexion à l’égard de l’art et de la culture. L’exercice est très riche d’enseignements : il nous permet de franchir un cap.Le Parti communiste français a été pendant longtemps la seule force politique française à définir son rapport à l’art et à la culture. Il va refuser tout à la fois le jdanovisme soviétique qui instrumentalise politiquement l’art et les artistes et la conception d’une culture au rabais destinée à distraire les classes populaires pendant que se développerait un art « produit de luxe » réservé à une élite sociale ou intellectuelle. C’est sur cette base que le PCF a la conviction dès les années trente que l’art, au même titre que la connaissance, parfois en anticipant sur elle, constitue le fil rouge du développement de la civilisation humaine et que la culture dans son acception anthropologique – trésor accumulé des créations humaines – est l’outil majeur de l’accès des classes populaires à la maîtrise de leur destin et de leur émancipation.

    Le Comité central d’Argenteuil, au printemps 1966, qu’on peut considérer comme un point d’orgue théorique et politique du Parti communiste sur cette question, revendiquait « l’élévation du niveau culturel de l’ensemble de la population » en insistant sur le fait que « l’accès de tous à la culture ne constitue pas seulement une exigence de justice sociale ». Les communistes ont contribué, dans la foulée du programme du Conseil national de la Résistance, à la naissance et au développement des politiques publiques de soutien à l’art et à la culture qui va conduire à la création en 1959 du ministère. Ils vont être les fers de lance du grand mouvement dit de « décentralisation culturelle » en construisant de grands et de petits équipements culturels (maisons de la culture, théâtres de ville, bibliothèques, conservatoires et autres écoles d’art). Le « communisme municipal » va jouer un rôle essentiel dans la mise en œuvre de ces politiques publiques. D’où l’existence de fait d’une sorte de compromis historique entre les gaullistes et les communistes autour de l’idée d’un service public de la culture, leurs plus vives oppositions portant plus sur les moyens (la fameuse revendication communiste de consacrer 1 % du budget de l’État à la culture), mais le cadre institutionnel a longtemps fait consensus.

    Le démantèlement systématique par la droite de ces politiques publiques de l’art et de la culture, sur fond de marchandisation accélérée, nous conduit trop souvent à camper sur nos positions et à défendre un existant pourtant en crise. Faut-il penser que tout a été dit et que nous sommes condamnés à rêver au retour d’un improbable âge d’or de la culture « élitaire pour tous » pour reprendre la formule ramassée d’Antoine Vitez ? Je pense qu’une autre voie est possible.

    Nous ne devons ni renier ni renoncer aux ambitions passées : c’est un acquis formidable dont nous sommes fiers et qui doit nourrir notre réflexion. Mais aujourd’hui il est indispensable de dépasser l’héritage, de définir une nouvelle ambition pour une authentique démocratie culturelle. Il faut raisonner à nouveau frais pour au moins trois raisons essentielles articulées les unes aux autres : 


    1. Nous vivons une révolution d’ordre anthropologique sur fond de révolution technologique : la culture occidentale n’est plus au centre – elle doit reconnaître la diversité culturelle du monde et entrer en dialogue à égalité avec toutes les autres civilisations, abandonnant ainsi sa prétention ethnocentrique – alors que dans le même temps la révolution numérique et informationnelle bouleverse le rapport de l’ensemble de la société à la production et à la circulation des savoirs, des idées, des imaginaires.

    2. La société à l’échelle mondiale s’est profondément transformée avec l’émergence d’aspirations nouvelles à mieux vivre, dans des rapports sociaux à la fois solidaires et harmonieux avec la nature, sous-tendus par l’exigence citoyenne de chacune et chacun d’être associés aux décisions.

    3. Notre conception du dépassement du capitalisme a changé. Elle emprunte, désormais une voie citoyenne démocratique prenant à revers une vision étatiste que l’histoire a condamnée, dessinant une société dépassant la simple démocratie représentative au profit d’une démocratie participative et délibérative.

    Une politique culturelle dans cette perspective n’est pas l’affaire seulement des artistes et des acteurs culturels, elle doit s’adresser à toute la société et mobiliser l’ensemble des citoyens. Elle a vocation à faire de chacune et chacun d’entre nous l’acteur de son propre destin comme de l’avenir de toutes et tous. C’est en ce sens que nous pouvons affirmer qu’une politique culturelle conditionne et donne le sens de l’action publique. Pour cela elle doit porter trois exigences fortes intimement liées :

    1. Garantir la liberté totale d’opinion et de création pour les artistes, les acteurs culturels, dont le travail doit être protégé contre toute instrumentalisation politique ou religieuse et tout asservissement à une économie de la culture marchandisée. La création et l’innovation doivent plus que jamais être au cœur de toutes les politiques publiques de la culture.

    2. Donner un nouveau souffle à l’imaginaire en portant l’ambition d’un « partage du sensible » pour reprendre la formule de Jacques Rancière. Cela induit un soutien massif à toutes les formes d’appropriation populaire de l’art, du patrimoine et des créations, à l’éducation et à l’expression artistiques à l’école et dans la ville, à la présence de l’art dans l’univers du travail, comme un outil citoyen de maîtrise du réel, d’enrichissement de soi et d’embellissement du quotidien.

    3. Reconnaître enfin que le « vivre ensemble » suppose la reconnaissance de l’autre, dans la diversité de son histoire, de sa culture et de sa langue. La défense et la promotion de la langue française, la construction d’une culture commune, ne peuvent se faire en niant les langues et les cultures présentes sur notre sol, mais au contraire en s’enrichissant de cet apport et en l’inscrivant dans une vision solidaire de la société que nous voulons bâtir ensemble.

    Cette triple exigence suppose de franchir deux obstacles :

    1. Dépasser cette conception de la démocratisation fondée sur la théorie de l’« accès à la culture » et promouvoir une authentique démocratie culturelle qui, tout en réaffirmant sans concession le rôle essentiel du travail artistique et de ses acteurs, pose en d’autres termes le rapport social à l’art et à la culture. La théorie de l’accès à la culture a l’inconvénient majeur de définir d’un côté la Création et la Culture (avec des majuscules…) et de l’autre des « masses populaires » pris comme une entité homogène. L’ambition serait de les faire « accéder » à une culture à laquelle elles seraient étrangères, à la création de laquelle elles n’auraient été associées et dont elles ne se sentiraient porteuses. Les classes populaires ne sont pas dépossédées de culture, elles sont privées de parole et reléguées dans des lieux qui ne leur permettent pas l’exercice de leur droit à l’expression et à l’appropriation de l’art, du patrimoine comme de la création.

    2. En tirer les conséquences sur le plan institutionnel. Pour cela, il est impératif de revenir sur la rupture qui s’est opérée entre la création, l’éducation artistique et l’éducation populaire, entre un ministère de la Culture qui s’occupe de la création et des artistes, un ministère de l’Éducation nationale qui s’occupe de l’école, de l’université et de la recherche, un ministère de la Jeunesse qui est censé s’occuper de la vie associative et de l’éducation populaire. Il faudrait y ajouter aujourd’hui le service public de l’audiovisuel, l’Internet et l’espace numérique et informationnel. C’est donc reconsidérer la relation, au sein de l’appareil d’État, entre la « création », l’« éducation » et la « diffusion ». C’est aussi définir ce que pourront être demain les contours et les missions spécifiques et transversales d’un ministère de la Culture refondé, sur la base de cette ambition politique renouvelée qui exigera bien évidemment des moyens supplémentaires.

    Une gauche digne de ce nom ne peut plus seulement se fixer aujourd’hui comme 
objectif « d’apporter » la culture au peuple. Elle doit avoir pour ambition de permettre à chacune et à chacun, quelles que soient son origine sociale et son appartenance territoriale, de s’approprier les ressources culturelles nécessaires à son émancipation, à la gestion de 
la société, du local au global. C’est à ce prix que l’on peut parler de révolution citoyenne. C’est à cette condition qu’un peuple fait sa propre histoire.

    Alain HAYOT


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