• La "Langue de la Liberté"

    Réactions de Marie-Jeanne Verny (PCF) et Anne-Marie Kervern (UDB) sur les propos tenus par le candidat Jean-Luc Mélenchon lors de sa venue à Brest. 

    Sa surdité agace...

    Toujours pas d'évolution officielle du PG sur une question dont il ne mesure pas le caractère sensible...

    Alors que l'Humanité, depuis novembre dernier, a publié deux dossiers sur la question :

    http://www.felco-creo.org/mdoc/detail_fr.php?categ=premsa&id=1010

    http://www.felco-creo.org/mdoc/detail_fr.php?categ=premsa&id=979, parce que depuis longtemps les militants communistes ont compris, accepté et encouragé la pluralité linguistique et culturelle de la France, aucunement contradictoire avec l'appartenance à la République.

    C'est grave ! Si EELV perd de l'audience, Eva Joly gagne, chaque jour davantage, des voix chez les militants de gauche des langues régionales, et elle les gagne, pour beaucoup de ceux-ci, électeurs communistes, à leur corps défendant.

    Il y a des propos, des préjugés irrationnels qui sont inacceptables. Il est inacceptable qu'un texte consensuel (voir http://languesculturefrance.free.fr/) comme celui qui a été élaboré à Montpellier suite à une rencontre sur la question où participaient entre autres René Revol et Alain Hayot, responsable national PCF, ne remonte pas depuis la "base" à notre candidat. Nous avons perdu beaucoup de temps. Les militants des langues régionales ont de la mémoire, et internet n'oublie RIEN. Tout ce que JLM a dit ou écrit sur la question est disponible, circule, fait du mal.

    Fin 2011, ne déclarait-il pas encore cette absurdité que "le français est la langue de la liberté" ?

    Ci-dessous, une réaction d'une élue bretonne à ce propos parmi les multiples réactions que je reçois...

    Autre réaction d'un ami, électeur communiste : pourquoi Mélenchon n'a-t-il pas participé au débat dans l'Huma du 13 janvier ?

     

    Mes questions : on sait d'où il est, d'où il vient, quelles sont ses amitiés et ses antécédents politiques... Ce côté laïcard, ça marque forcément. Mais bon sang, on réfléchit, sur des questions sensibles, on arrête de faire parler ses tripes franco-françaises chroniques. Et puis, il n'est pas le seul, au PG, que diable ? Et nous militants de gauche des langues régionales, nous ne nous cachons pas, on connaît nos engagements militants, politiques, syndicaux, associatifs ! Pourquoi n'y a-t-il pas la moindre avancée dans les propos de campagne sur le sujet de la diversité culturelle constitutive de la République, sur le droit des langues minorisées à vivre SUR LA PLACE PUBLIQUE, comme toute production de l'humanité ?

    L'Humain d'abord ? Vous avez dit ? Pauvre humanité monocolore (ou tricolore, c'est kifkif) qu'on nous propose là !

    Marie-Jeanne Verny, McF HDR en Occitan à Montpellier, présidente de CREO-Lengadòc.

     

    _______________________________________________________________________

    La langue française est-elle « la langue de la liberté » ?

     

    Jean Luc Mélenchon en est persuadé, et tout ce qu’il souhaite de bon aux petits

    Français, comme d’ailleurs aux immigrés primo-arrivants, c’est d’accéder à

    l’émancipation par la « langue de la liberté ». Il l’a encore redit lors de son

    passage à Brest, en conclusion de sa déclaration sur les langues régionales.

    André Le Gac qui l’interrogeait à ce sujet semble content de sa réponse, comme

    d’ailleurs les militants du Front de Gauche qui font circuler ses propos avec

    une évidente satisfaction.

     

    Alors, pourquoi moi, Anne-Marie Kervern, élue en charge du dialogue

    interculturel à Brest, notre groupe UDB et les militants UDB dans leur ensemble,

    ne pouvons- nous nous satisfaire de cette réponse, et même devons-nous la

    combattre ? C’est tout simplement parce que Jean-Luc Mélenchon a le front de

    nous resservir un plat toxique qui semble tout droit sorti de la cuisine

    Sarkozyste.

     

    Petite explication de texte : quand Sarkozy choque toute l’Afrique et toute la

    planète en parlant de l’Homme africain qui n’est pas encore entré dans

    l’histoire, que fait-il exactement ? Il essentialise l’Homme africain,

    c'est-à-dire qu’il s’appuie sur de prétendues différences de « nature » entre

    les hommes pour mieux les hiérarchiser et leur attribuer un rôle social

    spécifique. C’est le dominant qui hiérarchise et attribue les rôles.

    Essentialiser est toujours un acte de domination. C’est ainsi que l’on parlera

    de « nature » féminine (sexisme) ou de la « nature » de tel ou tel peuple

    (racisme). L’essentialisation a servi de base idéologique à la colonisation,

    elle sert de base idéologique à la ségrégation, à l’exclusion, à tous les

    traitements inégalitaires de notre société actuelle. Elle sert toujours les

    intérêts de l’élite et des dominants, il est important de le rappeler quand on

    s’adresse à des partenaires de la Gauche.

     

    En affirmant que la langue française est « la langue de la liberté », Jean-Luc

    Mélenchon ne fait rien d’autre : il essentialise la langue en lui attribuant une

    nature intrinsèque qui justifie sa supériorité et celle de ceux qui la parlent.

    Joli tour de passe- passe, non ? La langue française, « langue de la liberté »

    serait une langue aux qualités linguistiques (clarté, pureté, universalité)

    supérieures, ce qui, évidemment, ne peut que justifier et refléter, de manière

    implicite, une « essence » exceptionnelle de ceux qui la parlent !

     

    Cette qualification de la langue française fait pendant à la fameuse déclaration

    de Bertrand Barrère de Vieuzac, député aux Etats généraux, puis membre de la

    convention nationale : « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ;

    l’émigration et la haine de la république parlent allemand ; la contre

    révolution parle italien et le fanatisme parle le basque (…) ».

     

    Les langues auraient donc, selon Barrère et dans le droit fil, selon JL

    Mélenchon, des natures « intrinsèques » : les unes seraient langues de progrès,

    les autres, langues de réaction, les unes seraient aptes à parler de liberté et

    de démocratie, les autres ne pourraient, ne sauraient exprimer des valeurs

    universelles.

     

    C’est sans doute ce qui était dans l’esprit de la majorité municipale de gauche

    à Brest lorsqu’elle refusa d’accéder à la demande du groupe UDB de traduire la

    devise de la République en breton au fronton des écoles : on ne peut traduire

    dans une langue régionale ces valeurs universelles qui appartiennent à

    l’histoire de la France et du peuple français. Dans l’émotion, certains se

    laissèrent même aller à demander si les mots de « Liberté, égalité, fraternité »

    existaient en breton ! He bien je dis et j’affirme que ce fut une mauvaise

    action car, ce faisant, notre majorité de gauche a contribué, non pas à

    reconnaitre l’universalité de ces valeurs, mais à en faire une exceptionnalité

    française. L’acte qui a été posé ce soir-là fut un acte d’ethnicisation de nos

    valeurs communes, celles-ci étant réduites à des valeurs « franco-françaises »,

    un acte d’ethnicisation dont les tenants de tous les communautarismes, religieux

    ou autres, ne pourront que se féliciter.

     

    En tant que femme de gauche, membre d’un parti de gauche, je dis, j’affirme et

    je revendique le fait que les langues sont « des constructions historiques

    humaines et que celles-ci reflètent l’histoire des groupes sociaux qui les

    utilisent » (Saïd Bouamama, « La France, Autopsie d’un mythe national »). Les

    placer sur une échelle hiérarchique, en fonction de leur essence, consiste tout

    simplement à nier qu’elles sont le produit de rapports de force, de rapports de

    domination et que leur rayonnement est déterminé par des facteurs politiques,

    militaires, économiques. Faut-il rappeler que c’est dans la « langue de la

    liberté » que Napoléon rétablit l’esclavage, que c’est dans la « langue de la

    liberté » que fut rédigé le code de l’indigénat et que l’on fit régner l’ordre

    colonial à Poulo Condor, que c’est dans la « langue de la liberté » qu’on donna

    l’ordre de tirer sur les fusillés pour l’exemple, puis dans la foule à Sétif et

    Madagascar?

     

    En concluant sa déclaration apparemment bienveillante envers les langues

    régionales par le souhait que tous bénéficient de la « langue de la liberté »,

    Jean-Luc Mélenchon se place dans un courant idéologique bien repérable, de la

    Révolution de 1789 à aujourd’hui, en passant par la IIIème République qui joua

    un rôle important dans ce domaine : celui qui d’un républicanisne arrogant qui

    confond (sciemment ?) unité politique et unicité culturelle, un républicanisme

    qui, s’appuyant sur un essentialisme des peuples et des langues, a construit une

    politique de mépris et d’exclusion des langues régionales de la sphère publique.

     

    Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’ « au regard de la crise et des problèmes

    sociaux actuels, il y a des combats beaucoup plus importants que celui des

    langues régionales » ! Car ce dont il est question, c’est rien moins que notre

    conception de la République et de la Nation qui est en jeu. Ou bien on prolonge

    les discours des « élites » qui essentialisent les peuples et les langues à leur

    profit, invalident les multiples appartenances comme autant de dangereux points

    d’appui aux revendications des plus faibles, ouvrent la voie aux clivages

    ethniques. Ou bien, et c’est ma position de femme de gauche, et certainement

    aussi celle de mon parti, on travaille à l’émergence d’une citoyenneté du XXIème

    siècle capable d’intégrer la diversité dans un projet réellement démocratique de

    cohésion sociale. C’est aussi le projet de la « nation arc-en-ciel » porté par

    Nelson Mandela en Afrique du sud. Mais pour y parvenir, il faut en finir avec ce

    mythe de l’exceptionnalité française qui n’est qu’un fantasme nationaliste

    générateur d’exclusion. Avoir comme projet éducatif l’apprentissage de la «

    langue de la liberté » pour tous fait partie de ce fantasme. Il est contre

    productif et ne permet en aucun cas de lutter contre la précarité linguistique

    qui accompagne la plupart du temps la précarité économique. Ce dont souffrent

    les enfants des familles qui vivent dans cette précarité, ce n’est pas d’un

    excès de bi ou plurilinguisme, c’est au contraire d’un manque de reconnaissance

    de la diversité des pratiques culturelles et linguistiques de leur milieu.

     

    J’invite Jean-Luc Mélenchon et ceux qui ont accueilli avec satisfaction sa

    position sur les langues régionales à lire « La France, autopsie d’un mythe

    national » de Saïd Bouamama, socio –économiste dont les recherches nous plongent

    au cœur de ce qui fonde le lien social. Ils y trouveront certainement quelques

    lumières sur la réalité de la société française et sur le retour en force de

    l’élitisme dit « républicain » dont le concept « langue de la liberté » est l’un

    des sousbassements.

     

    Anne-Marie Kervern

     

    Adjointe au Maire de Brest, Groupe des élues de l’Union Démocratique Bretonne

     

    in:

    http://www.alternativabiarnesa.com/2012/01/la-langue-francaise-est-elle-la-langue.html


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